23.11.11

Le Réséda (2)

Le Réséda (suite et fin)


Les premiers jours de l'absence de Louise furent bien tristes pour la jeune enfant. Ses leçons lui paraissaient plus difficiles, parce qu'elle n'avait plus là sa bonne sœur pour les lui faire comprendre. Et puis, quand, à l'heure marquée pour les travaux d'aiguille, elle allait prendre soit un petit mouchoir blanc à ourler, soit une paire de chaussettes à son papa à repriser, elle devenait plus triste encore parce que tout en cousant, elle avait l'habitude de parler de mille choses avec sa sœur. Et maintenant qu'elle était seule, le silence de la grande chambre lui faisait sentir encore davantage sa solitude.

Elle finit par s'ennuyer tant, qu'elle pria son papa d'inviter la petite voisine Juliette à venir travailler avec elle, ce que le papa voulut bien, parce que Juliette était une gentille enfant, gaie, douce et très-aimable compagne. Malheureusement elle ne savait pas le prix du temps, et elle faisait tout ce qu'elle voulait, quand elle voulait, selon son caprice et sa fantaisie.


La première après-midi que les petites filles passèrent ensemble, Cécile essaya de lui faire comprendre qu'il fallait partager son temps entre tous ses devoirs, afin, comme l'avait dit la sœur Louise, de travailler avec ordre et régularité. Mais Juliette n'avait point l'habitude de ce sage arrangement. Elle prétendit que ce devait être fort gênant de ne pouvoir quitter un travail dès qu'il vous ennuie, ou bien de le continuer tout le temps qu'il vous amuse. Cécile eut beau ajouter que ce n'était pas si difficile qu'elle le croyait ; qu'il fallait seulement s'y habituer, et qu'elle s'y habituerait avec un peu de bonne volonté. Elle eut beau ajouter que l'ordre ménage le temps, et que la variété des occupations empêche l'ennui de venir. Tout cela ne servit à rien ; Juliette, la pauvre enfant, ne connaissait pas le prix du temps !


Par malheur, Cécile n'avait pas encore profité assez fortement des bonnes leçons de sa grande soeur ; le désordre des habitudes de Juliette finit par la gagner peu à peu. Elle ne regarda plus la pendule, se mit à travailler ou à jouer, comme Juliette, selon sa fantaisie ou son caprice.


Puis lorsqu'elle s'aperçut qu'une leçon était en retard, elle s'y mettait et travaillait jusqu'à l'heure du coucher sans prendre le moindre repos. Et comme elle finit par se trouver en retard sur toutes choses, que les quinze jours étaient bientôt écoulés, que Louise allait revenir, que les devoirs n'étaient point faits, Cécile se mit courageusement à l'ouvrage, et pendant les derniers jours ne se permit aucune espèce de récréation. Et que devenaient pendant ce temps les fleurs du petit jardinet ?


Malgré tous ses efforts, Cécile n'avait pas terminé sa tâche lorsque Louise arriva. Cécile et son père allèrent au-devant d'elle jusqu'au bureau de la diligence ; et quel bonheur de se revoir !

« Chère Louise ! petite maman ! embrasse-moi ! criait Cécile en étouffant dans ses bras sa sœur aînée. Te voilà donc enfin ! Oh ! la vilaine qui laisse si longtemps sa petite Cécile ! Oh ! chérie, tu ne me quitteras plus, n'est-ce pas ? » Et elle l'embrassait encore.


La bonne Louise était bien heureuse aussi de revoir sa jeune sœur, sa petite fille, comme elle l'appelait. En la regardant avec l'attention et la tendresse d'une mère, elle s'aperçut que Cécile était un peu pâle, qu'elle avait les yeux brillants et la peau brûlante comme lorsqu'on a un peu de fièvre.


« Tu es malade? lui dit-elle.


- Non, petite mère.

- Alors tu es fatiguée.

- C'est que j'ai beaucoup travaillé.

- Mais, quand j'étais là tu travaillais beaucoup et tu ne te fatiguais pas ? ... »

Cécile ne répondit rien, mais elle détourna les yeux comme lorsqu'on est embarrassé pour répondre.

Et Louise vit cela. On avait déchargé la petite malle de la voyageuse, et la papa, bien content, ramena ses deux filles à la maison.


En arrivant, Louise, d'un air sérieux, prit Cécile par la main, et l'achemina avec elle vers la cour aui était derrière la maison. C'était là que se trouvait le petit jardin, où Cécile n'était pas allée depuis huit jours !

Tout à coup, elle se rappela les paroles de Louise au moment du départ : « Si tu restes fidèle au règlement, le réséda saura me le dire. » Elle comprit alors que Louise allait interroger le réséda, et elle sentit battre son cœur.

« Pourtant, se disait-elle tout bas, les plantes ne parlent pas, le réséda ne dira rien, ma sœur ne saura rien. » Elle cherchait ainsi à se rassurer. Mais on arriva en face du petit jardin. Hélas ! hélas ! que vit-on ? Les marguerites, les pervenches étaient fanées, et le réséda n'avait plus de feuilles !

« Oh ! mon pauvre réséda ! s'écria Louise avec une expression de vive douleur.

- Qui lui a fait cela ? s'écria Cécile indignée.


- C'est toi ! répondit Louise.

- Moi ?

- Tu n'as pas travaillé avec ordre, je le vois ; tu as perdu du temps, tu n'en as plus eu assez pour soigner nos fleurs, et les insectes ont dévoré celle que je préfère à toutes les autres ! »

Cécile consternée regarda de plus près, et elle vit en effet tout le long des tiges vertes et tendres du pauvre réséda, de grosses chenilles, vertes aussi, qui après avoir mangé toutes les feuilles, rongeaient à présent les branches.


« Ô ma pauvre sœur, s'écria-t-elle en pleurant, pardonne-moi le chagrin que je te cause. Oui, j'ai oublié le règlement et les heures ! Oui, j'ai voulu réparer ma faute, et j'ai travaillé sans relâche !

- Et tu as délaissé nos fleurs ?


- Oui.

- Et tu t'es rendue malade ?

- Oui.

- Et du moins, tes devoirs sont-ils faits ?

- Non.

- Ainsi tu n'as pu parvenir à regagner le temps perdu ?

- Non !

A cette cruelle réflexion, Cécile pleura beaucoup ; Louise vit son repentir, se mit à la consoler comme une mère en pleurant avec elle.


Et le pauvre réséda, lui qui avait fait connaître le prix du temps, il était là, bien triste, flétri, dépouillé, presque mort !

Les deux sœurs s'essuyèrent les yeux : puis, sans rien dire, elles se mirent en devoir de le débarrasser des insectes qui l'avaient réduit à ce triste état. On l'arrosa, on le soigna bien...

Guérira-t-il, mes chers enfants ? Refleurira-t-il encore ? – Cela dépend de la régularité des soins que lui donnera Cécile... si elle observe le règlement.

FIN


Tiré du recueil des Histoires parfaites de Marie Pape-Carpantier

1 commentaire:

  1. Si je ne me trompe cette histoire est plutôt tiré d'un livre qui s'appelle: "Histoire et leçons de choses". "Good and perfect stories" c'était mon invention.

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