23.11.11

Education maternelle

Mon éducation était toute dans les yeux plus ou moins sereins et dans le sourire plus ou moins ouvert de ma mère.

Les rênes de mon coeur étaient dans le sien. Elle ne me demandait que d'être vrai et bon. Je n'avais aucune peine à l'être : mon père me donnait l'exemple de la sincérité jusqu'au scrupule ; ma mère, de la bonté jusqu'au dévouement le plus héroïque.

Mon âme, qui ne respirait que la bonté, ne pouvait pas produire autre chose. Je n'avais jamais à lutter ni avec moi-même ni avec personne. Tout m'attirait, rien ne me contraignait. Le peu qu'on m'enseignait m'était présenté comme une récompense.

Mes maîtres n'étaient que mon père et ma mère ; je les voyais lire, et je voulais lire ; je les voyais écrire, et je leur demandais de m'aider à former mes lettres. Tout cela se faisait en jouant, aux moments perdus, sur les genoux, dans le jardin, au coin du feu du salon, avec des sourires, des badinages, des caresses. J'y prenais goût ; je provoquais moi-même les courtes et amusantes leçons.

J'ai ainsi tout su, un peu plus tard, il est vrai, mais sans me souvenir comment j'ai appris, et sans qu'un sourcil se soit froncé pour me faire apprendre. J'avançais sans me sentir marcher. Ma pensée, toujours en communication avec celle de ma mère, se développait, pour ainsi dire, dans la sienne. Les autres mères ne portent que neuf mois leur enfant dans leur sein : je puis dire que la mienne m'a porté douze ans dans le sien, et que j'ai vécu de sa vie morale comme j'avais vécu de sa vie physique dans ses flancs, jusqu'au mompent où j'en fus arraché pour aller vivre de la vie putride ou tout au moins glaciale des collèges.

Je n'eus donc ni maître d'écriture, ni maître de lecture, ni maître de langues. Un voisin de mon père, M. Bruys de Vaudran, homme de talent, retiré du monde où il avait beaucoup vécu, venait nous voir une fois par semaine ; il me donnait d'une très belle main des exemples dércriture que je copiais seul et que je lui remettais à corriger à son retour.

Le goût de la lecture m'avait pris de bonne heure. On avait peine à me trouver assez de livres appropriés à mon âge pour alimenter ma curiosité. Ces livres d'enfants ne me suffisaient déjà plus ; je regardais avec envie les volumes rangés sur quelques planches dans un petit cabinet du salon. Mais ma mère modérait chez moi cette impatience de connaître ; elle ne me livrait que peu à peu les livres, et avec intelligence.

La Bible abrégée et épurée, les Fables de La Fontaine, qui me paraissaient à la fois puériles, fausses et cruelles ; et que ne ne pus jamais apprendre par coeur ; les ouvrages de Mme de Genlis, ceux de Gerquin, des morceaux de Fénelon et de Bernardin de Saint-Pierre, qui me ravissaient dès ce temps-là ; la Jérusalem délivrée, Robinson, quelques tragédies de Voltaitre ; surout Mérope, lue par mon père à la veillée : c'est là que je puisais, comme la plante dans le sol, les premiers sucs nourriciers de ma jeune intelligence.

Mais je puisais surtout dans l'âme de ma mère ; je lisais à travers ses yeux, je sentais ses impressions, j'aimais à travers son amour. Elle me traduisait tout ; nature, sentiment, sensations, pensées. Sans elle, je n'aurais rien su épeler de la création que j'avais sous les yeux ; mais elle me mettait le doigt sur toute chose. Son âme était si lumineuse, si colorée et si chaude, qu'elle ne laissait de ténèbres et de froid sur rien.

En me faisant peu à peu tout comprendre, elle faisait en même temps tout aimer. En un mot, l'instruction insensible que je recevais n'était point une l'eçon : c'était l'action même de vivre, de penser et de sentir que j'accomplissais sous ses yeux, avec elle, comme elle et par elle. C'est ainsi que mon coeur se formait en moi sur un modèle que je n'avais pas même la peine de regarder, tant il était confondu avec mon propre coeur.

Alphonse de Lamartine, Les Confidences, 1849

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