24.2.15

La Femme

Comment […] concevoir qu'une femme puisse être athée ? Qui appuiera ce roseau, si la religion n'en soutient la fragilité ? Etre le plus faible de la nature, toujours à la veille de la mort ou de la perte de ses charmes, qui le soutiendra, cet être qui sourit et qui meurt, si son espoir n'est point au delà d'une existence éphémère ? Par le seul intérêt de sa beauté, la femme doit être pieuse. Douceur, soumission, aménité, tendresse, sont une partie des charmes que le Créateur prodigua à notre première mère, et la philosophie est mortelle à cette sorte d'attraits. 

La femme, qui a naturellement l'instinct du mystère, qui prend plaisir à se voiler, qui ne découvre jamais qu'une moitié de ses grâces et de sa pensée, qui peut être devinée, mais non connue, qui, comme mère et comme vierge, est pleine de secrets, qui séduit surtout par son ignorance, qui fut formée pour la vertu et le sentiment le plus mystérieux, la pudeur et l'amour ; cette femme, renonçant au doux instinct de son sexe, ira d'une main faible et téméraire chercher à soulever l'épais rideau qui couvre la Divinité ! A qui pense-t-elle plaire par cet effort sacrilège ? Croit-elle, en joignant ses ridicules blasphèmes et sa frivole métaphysique aux imprécations des Spinosa et aux sophismes des Bayle, nous donner une grande idée de son génie ? Sans doute elle n'a pas dessein de se choisir un époux : quel homme de bon sens voudrait s'associer à une compagne impie ? 

L'épouse incrédule a rarement l'idée de ses devoirs ; elle passe ses jours ou à raisonner sur la vertu sans la pratiquer, ou à suivre ses plaisirs dans le tourbillon du monde. Sa tête est vide, son âme creuse ; l'ennui la dévore ; elle n'a ni Dieu ni soins domestiques pour remplir l'abîme de ses moments. 

Le jour vengeur approche ; le Temps arrive, menant la vieillesse par la main. Le spectre aux cheveux blancs, aux épaules voûtées, aux mains de glace, s'assied sur le seuil du logis de la femme incrédule ; elle l'aperçoit et pousse un cri. Mais qui peut entendre sa voix ? Est-ce un époux ! Il n'y en a plus pour elle : depuis longtemps il s'est éloigné du théâtre de son déshonneur. Sont-ce des enfants ? Perdus par une éducation impie et par l'exemple maternel, se soucient-ils de leur mère ? Si elle regarde dans le passé, elle n'aperçoit qu'un désert où ses vertus n'ont point laissé de traces. Pour la première fois, sa triste pensée se tourne vers le ciel ; elle commence à croire qu'il eût été plus doux d'avoir une religion. Regret inutile ! la dernière punition de l'athéisme dans ce monde est de désirer la foi sans pouvoir l'obtenir. 

Quand, au bout de sa carrière, on reconnaît les mensonges d'une fausse philosophie, quand le néant, comme un astre funeste, commence à se lever sur l'horizon de la mort, on voudrait revenir à Dieu, et il n'est plus temps : l'esprit abruti par l'incrédulité rejette toute conviction. Oh ! qu'alors la solitude est profonde, lorsque la Divinité et les hommes se retirent à la fois ! Elle meurt, cette femme, elle expire entre les bras d'une garde payée ou d'un homme dégoûté par ses souffrances, qui trouve qu'elle a résisté au mal bien des jours. Un chétif cercueil renferme toute l'infortunée ; on ne voit à ses funérailles ni une fille échevelée ni des gendres et des petits-fils en pleurs ; digne cortège qui, avec la bénédiction du peuple et le chant des prêtres, accompagne au tombeau la mère de famille. Peut-être seulement un fils inconnu, qui ignore le honteux secret de sa naissance, rencontre par hasard le convoi, il s'étonne de l'abandon de cette bière ; et demande le nom du mort à ceux qui vont jeter aux vers le cadavre qui leur fut promis par la femme athée. 

Que différent est le sort de la femme religieuse ! Ses jours sont environnés de joie, sa vie est pleine d'amour : son époux, ses enfants, ses domestiques, la respectent et la chérissent ; tous reposent en elle une aveugle confiance, parce qu'ils croient fermement à la fidélité de celle qui est fidèle à son Dieu. La foi de cette chrétienne se fortifie par son bonheur, et son bonheur par sa foi ; elle croit en Dieu parce qu'elle est heureuse, et elle est heureuse parce qu'elle croit en Dieu. 

Il suffit qu'une mère voie sourire son enfant pour être convaincue de la réalité d'une félicité suprême. La bonté de la Providence se montre tout entière dans le berceau de l'homme. Quels accords touchants ! ne seraient-ils que les effets d'une insensible matière ? L'enfant naît, la mamelle est pleine ; la bouche du jeune convive n'est point armée, de peur de blesser la coupe du banquet maternel ; il croît, le lait devient plus nourrissant ; on le sèvre, la merveilleuse fontaine tarit. 

Cette femme si faible a tout à coup acquis des forces qui lui font surmonter des fatigues que ne pourrait supporter l'homme le plus robuste. Qu'est-ce qui la réveille au milieu de la nuit, au moment même où son fils va demander le repas accoutumé ? D'où lui vient cette adresse qu'elle n'avait jamais eue ? Comme elle touche cette tendre fleur sans la briser ! Ses soins semblent être le fruit de l'expérience de toute sa vie, et cependant c'est là son premier-né ! Le moindre bruit épouvantait la vierge : où sont les armées, les foudres, les périls, qui feront pâlir la mère ? Jadis il fallait à cette femme une nourriture délicate, une robe fine, une couche molle ; le moindre souffle de l'air l'incommodait : à présent un pain grossier, un vêtement de bure, une poignée de paille, la pluie et les vents, ne lui importent guère, tandis qu'elle a dans sa mamelle une goutte de lait pour nourrir son fils, et dans ses haillons un coin de manteau pour l'envelopper.

[...] O femmes ! j'en appelle à vos entrailles maternelles, le système de l'athée ne sera point le vôtre ; il n'est fait que pour des coeurs de glace : celui qui l'inventa doit n'avoir jamais aimé. Vous croirez à cette religion qui couvre de lin blanc et de fleurs le cercueil de vos nourrissons, qui chante des cantiques de joie sur leurs aimables tombeaux ; qui vous apprend qu'ils ne sont point morts, mais transformés en petits anges. Vous chérirez cette foi divine, qui pour objet d'adoration vous offre une femme de douceur et de joie qui tient dans ses bras son nouveau-né : c'est là le véritable culte des mères. 
– Chateaubriand, Le Génie du Christianisme

Du Divorce

Ne donnons point à l'hymen les ailes de l'amour, et ne faisons point d'une sainte réalité un fantôme volage. Une chose détruira encore votre bonheur dans vos liens d'un instant ; vous y serez poursuivi par vos souvenirs. Vous comparerez sans cesse une épouse à l'autre, ce que vous avez perdu et ce que vous avez trouvé, et, ne vous y trompez pas, la balance sera tout en faveur des choses passées : ainsi Dieu a fait le coeur de l'homme. Cette distraction d'un sentiment par un autre empoisonnera toutes vos joies. Caresserez-vous votre nouvel enfant, vous songerez à celui que vous avez délaissé. Presserez-vous votre femme sur votre coeur, votre coeur vous dira que ce n'est pas le sein de la première. Tout tend à l'unité dans l'homme fait à l'image de son créateur ; il n'est point heureux s'il se divise ; et comme Dieu, son modèle, son âme cherche sans cesse à concentrer en un point le passé, le présent et l'avenir.

Etendez ce que nous venons de dire aux autres circonstances du divorce ; supposez, si vous le voulez, que l'époux et l'épouse n'en soient pas seulement au second, mais au troisième, mais au quatrième mariage. Quelle société, quelle union que celle-là, pour le bonheur ! Que deviennent les confidences mutuelles de la couche, qui adoucissent tant de chagrins ? Sur cet oreiller où vous reposez votre tête, où vous voulez parler de vos secrets, une bouche venimeuse vous révélera-t-elle les mystères d'un autre oreiller, en vous découvrant ainsi le sort qui menace les vôtres ? Et si vous avez l'ombre du véritable amour, comment songerez vous que votre épouse a été l'épouse d'un autre homme, que cet homme vit, qu'elle peut tous les jours le rencontrer ? Que dis-je ? ce sein est encore gonflé du lait d'un hymen qui n'est pas le vôtre ; j'entends encore les cris du petit orphelin du divorce, à qui vous venez de ravir la mamelle ?

Mais on nous objectera qu'on n'abandonne pas ses enfants, qu'on les établit avec soi dans sa nouvelle demeure. Voici la maison du scandale : la marâtre jalouse dit qu'on caresse trop ces étrangers aux dépens de ses propres fils ; les enfants, à leur tour, sont en guerre avec les enfants ; ils se regardent mutuellement comme des voleurs introduits dans le champ paternel. Toute subordination cesse ; chacun ignore la règle de son devoir. A qui faut-il obéir ? sera-ce à son père selon la nature, ou à son père selon le divorce ? La maison se partage ; les domestiques s'enrôlent dans les haines et dans les amours ; les voisins accourent pour augmenter le trouble ; la curiosité, la malignité, la médisance, la calomnie, broient leurs couleurs, et la langue des hommes travaille de toutes parts. Si des deux côtés il y a des fruits d'un autre lit, si l'époux et l'épouse, ainsi qu'ils ont déjà marié leur honte, mêlent ensemble ces bâtards qui héritent, ces bâtards qui forment entre eux, et avec les nouveaux enfants de leur père et mère, des degrés d'alliance pour lesquels on ne connaît point de nom ; si tout cela est ainsi, que n'achève-t-on ce digne ouvrage ? Pour resserrer les noeuds de cette chaste famille, que ne donne-t-on en mariage le frère à la soeur et la soeur au frère ? Alors père et mère, femme et mari, fils et fille, frère et soeur, vivraient tous pêle-mêle dans un inceste philosophique.

Je sais qu'il y a de ces pères apathiques ou corrompus qui peuvent voir avec indifférence dans leur maison les fils de l'étranger, et les préférer même aux leurs. Donc toute votre espérance de bonheur repose sur l'insensibilité ou sur la dépravation humaine ? Quant à ces coeurs larges qui aiment tout, qui s'accommodent de tout, qui chérissent à l'égal de leurs enfants les enfants d'autrui, et quelquefois même les gages de leur infamie et du crime de leurs épouses, ces coeurs-là sont sans doute au-dessus de nos objections. Concubinage, adultère, divorce, tout est excellent, tout est parfait pour eux, et nous n'avons rien à leur apprendre. Dieu leur a désigné d'autres maîtres : il faut qu'ils aillent s'instruire d'abord chez toutes les bêtes qui ont des nids, des tanières ou des bauges, avant qu'ils puissent devenir un objet de considération pour la loi.

Enfin, on veut que le divorce soit favorable à la population ; c'est ignorer toutes les lois morales et même physiques de la nature. A Dieu ne plaise que nous mettions à découvert la turpitude des hommes ; mais qu'on sache que celui qui change de femme dépense sa postérité en désirs ; et qu'au lieu des enfants de ses petits-enfants, il ne tiendra sur ses genoux que la Mort, son héritière.

-- François-René de Chateaubriand

29.1.15

La générosité d'un père

Un héros de tous les temps


"L'homme est en mer. Depuis l'enfance matelot,
Il livre au hasard sombre une rude bataille.
Pluie ou bourrasque, il faut qu'il sorte, il faut qu'il aille,
Car les petits enfants ont faim. Il part le soir
Quand l'eau profonde monte aux marches du musoir.
Il gouverne à lui seul sa barque à quatre voiles.
La femme est au logis, cousant les vieilles toiles,
Remmaillant les filets, préparant l'hameçon,
Surveillant l'âtre où bout la soupe de poisson,
Puis priant Dieu sitôt que les cinq enfants dorment.
Lui, seul, battu des flots qui toujours se reforment,
Il s'en va dans l'abîme et s'en va dans la nuit.
Dur labeur ! tout est noir, tout est froid ; rien ne luit.
Dans les brisants, parmi les lames en démence,
L'endroit bon à la pêche, et, sur la mer immense,
Le lieu mobile, obscur, capricieux, changeant,
Où se plaît le poisson aux nageoires d'argent,
Ce n'est qu'un point ; c'est grand deux fois comme la chambre.
Or, la nuit, dans l'ondée et la brume, en décembre,
Pour rencontrer ce point sur le désert mouvant,
Comme il faut calculer la marée et le vent !
Comme il faut combiner sûrement les manœuvres !
Les flots le long du bord glissent, vertes couleuvres ;
Le gouffre roule et tord ses plis démesurés,
Et fait râler d'horreur les agrès effarés.
Lui, songe à sa Jeannie au sein des mers glacées,
Et Jeannie en pleurant l'appelle ; et leurs pensées
Se croisent dans la nuit, divins oiseaux du cœur."

-- Victor Hugo, La légende des siècles, première série, XIII, 3, "Les pauvres gens"(1859)

 Le rêve du héros c'est d'être grand partout et petit chez son père. -- V.Hugo

13.1.15

A mon père

Mon Père Louis, Jean, François,
Avec vos prénoms de navires,
Mon Père mien, mon Père à moi,
Et dont les yeux couleur de myrrhe,

Disaient une âme vraie et sûre,
En sa douceur et sa bonté,
Où s’avérait noble droiture,
Et qui luisait comme un été. [...]
*
Mon Père, amour m’était en vous,
Que j’ai gardé toute ma vie,
Ainsi qu’une lumière luie
En moi, et qui vous disait tout ;

Mon père qui étiez ma foi
Toute de clarté souriante,
Dont la parole m’était loi
Consentie par mon âme aimante,

Mon Père doux à mes erreurs,
Et qui me pardonniez mes fautes,
Aux jours où trop souvent mon coeur
De sagesse n’était plus l’hôte,

Mon Père ainsi je vous ai su
Dans les heures comme elles viennent
Du ciel ou d’enfer descendues,
Apportant la joie ou la peine.
*
Or paix et qui était en vous
En l’amour du monde et des choses,
Alors que mon coeur un peu fou
Les voyait eux, parfois moins roses,

C’était vous lors qui m’apportiez
Foi en eux qui n’était en moi,
Lorsque si doux vous souriiez
À mes craintes ou mon émoi.

-- Max Elskamp, La chanson de la rue Saint-Paul

Aux femmes

S’il arrivait un jour, en quelque lieu sur terre,
Qu’une entre vous vraiment comprît sa tâche austère,
Si, dans le sentier rude avançant lentement,
Cette âme s’arrêtait à quelque dévouement,
Si c’était la Bonté sous les cieux descendue,
Vers tous les malheureux la main toujours tendue,
Si l’époux, si l’enfant à ce cœur ont puisé,
Si l’espoir de plusieurs sur Elle est déposé,
Femmes, enviez-la. Tandis que dans la foule
Votre vie inutile en vains plaisirs s’écoule,
Et que votre cœur flotte, au hasard entraîné,
Elle a sa foi, son but et son labeur donné.
Enviez-la. Qu’il souffre ou combatte, c’est Elle
Que l’homme à son secours incessamment appelle,
Sa joie et son appui, son trésor sous les cieux,
Qu’il pressentait de l’âme et qu’il cherchait des yeux,
La colombe au cou blanc qu’un vent du ciel ramène
Vers cette arche en danger de la famille humaine,
Qui, des saintes hauteurs en ce morne séjour,
Pour branche d’olivier a rapporté l’amour.

Et que votre cœur flotte, au hasard entraîné,
Elle a sa foi, son but et son labeur donné.
Enviez-la ! Qu’il souffre ou combatte, c’est Elle
Que l’homme à son secours incessamment appelle,
Sa joie et son espoir, son rayon sous les cieux,
Qu’il pressentait de l’âme et qu’il cherchait des yeux,
La colombe au cou blanc qu’un vent du ciel ramène
Vers cette arche en danger de la famille humaine,
Qui, des saintes hauteurs en ce morne séjour,
Pour branche d’olivier a rapporté l’amour.

-- Louise Ackermann, Paris, 1835



Fidélité

Devant les trahisons et les têtes courbées,
Je croiserai les bras, indigné, mais serein.
Sombre fidélité pour les choses tombées,
Sois ma force et ma joie et mon pilier d’airain ! [...]
Je ne reverrai pas ta rive qui nous tente,
France ! hors le devoir, hélas ! j’oublierai tout.
Parmi les éprouvés je planterai ma tente :
Je resterai proscrit, voulant rester debout.
J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.
Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !

-- Victor Hugo