23.11.11

Le Réséda (1)

Le Réséda ou Le prix du temps


Il était une fois une petite fille de sept ans qui s'appelait Cécile. Cette petite fille n'avait plus de mère, mais elle avait une grande sœur qui s'appelait Louise, et qui était, pour la petite Cécile, tendre comme une mère et sage comme une institutrice.

Car elle s'était faite l'institutrice de sa jeune sœur, bien qu'elle n'eût encore que seize ans, et qu'elle ne fût pas plus instruite qu'on ne l'est à cet age. Mais elle en savait plus que Cécile. C'était assez pour lui venir en aide.

Louise était vigilante, réfléchie, elle observait tout et tirait bon parti de tout.

Elle avait surtout appris la valeur du temps. Elle avait vu dans un pot, sur sa fenêtre, lever une petite plante ; et dans le rue, en face d'elle, bâtir une grande maison. Tous les jours la petite plante grandissait un peu , et tous les jours les maçons élevaient d'un mètre et plus les murs de la maison. Mais certains jours, le lundi, par exemple, les maçons ne venaient pas, et le jour qui était venu, lui, pour servir à quelque chose, s'en allait sans qu'il en eussent profité ; les murs ne s'étaient pas élevés d'un centimètre, tandis que la petite plante, qui profitait de tous les jours, grandissait sans interruption.

Louise avait alors compris que pour faire une maison, une fleur et toutes choses, il faut du temps et du travail. Et comme nous avons tous plusieurs choses à faire, elle s'était dit ;

« Il faut partager la journée bien juste entre tous nos devoirs afin de ne laisser rien perdre de notre temps. Le temps ! cette durée de nos occupations ou de notre oisiveté, de notre travail régulier ou de nos actions capricieuses. Une heure bien ou mal employée s'écoule, une autre la suit et s'écoule à son tour ; ainsi le soir est près du matin, et le jour présent qui s'appelle aujourd'hui, sera passé demain et s'appellera hier ; et hier ne revient plus. C'est demain qui arrive, qui devient aujourd'hui, puis qui passe, s'écoule, et s'en va avec tous les autres jours qui se sont appelés comme lui demain, aujourd'hui, et qui, comme lui maintenant, se sont appelés hier. »


Alors Louise avait réglé le temps pour elle et pour sa petite sœur Cécile. Tous les jours on se levait à six heures. On s'habillait, on faisait sa prière, puis son lit, son petit ménage enfin ; et à sept heures on se mettait à l'ouvrage. Louise cousait, Cécile étudiait. Puis, tous les jours à la même heure venaient les repas, les leçons variées, les récréations ; et le soir il se trouvait que l'on avait fait beaucoup de travail, appris beaucoup de choses, et, de plus, qu'on s'était beaucoup amusé.

Il y avait surtout une récréation que les deux sœurs aimaient par-dessus toutes les autres. C'était... Vous savez, mes amis, cette petite plante dont je vous ai parlé, qui avait fait connaître à Louise le prix du temps ? Eh bien, elle avait grandi, ses feuilles avaient pris une forme, de petits boutons avaient poussé, de petites fleurs s'étaient ouvertes, une odeur douce et délicieuse s'en échappait... c'était un réséda.


Louise s'était attachée à son réséda, et cela lui avait donné l'idée de faire un petit jardin dans un coin de la cour qui était derrière la maison. Cécile l'avait aidée à planter des pieds de violettes, des reines-marguerites, des belles-de-jour et des pervenches.

Et il fallait soigner tout cela ; et c'était justement cette récréation que les deux sœurs aimaient tant.

Tous les soirs, lorsqu'on avait fait sa tâche de broderie ou de couture, bien écrit, appris et compris ses leçons, et bien exactement aux heures fixées, on s'en allait au petit jardin avec une bêchette et un petit arrosoir. On sarclait les mauvaises herbes, on remuait la surface de la terre au pied des fleurs, on arrosait, on enlevait les petites pierres, on faisait la chasse aux limaçons, aux chenilles et aux insectes qui dévorent les plantes délicates. Aussi tout poussait à merveille ! le réséda surtout ; il était devenu magnifique, et se trouvait plus élevé que toutes les autres plantes ; on eût dit le souverain du jardinet !

Louise s'y était attachée de plus en plus ; elle l'avait vu si petit ! Et puis, en lui apprenant le prix du temps, il lui avait fait faire une réflexion si précieuses ! Elle lui en était presque reconnaissante, et elle ne l'eût échangé ni vendu pour aucune autre chose au monde .

Mais voilà qu'un jour le papa des deux petites filles reçoit une lettre de sa belle-sœur, qui disait que le cousin Raoul venait d'être bien malade ; qu'on l'avait guéri, et qu'il s'ennuyait, et que Louise serait bien aimable si elle voulait aller l'amuser et le distraire pendant une quinzaine de jours. Raoul n'était pas un garçon très-sociable. Il avait un assez mauvais caractère : aussi ne recherchait-on pas beaucoup sa société. Mais il était souffrant ; et Louise, qui était bonne, ne songea qu'à l'aller trouver pour lui être agréable.

Elle regrettait pourtant beaucoup d'être obligée de quitter son père, sa sœur surtout, qui avait tant besoin de ses affectueuses leçons ! « Sois tranquille, chère Louise, dit Cécile à sa sœur en lui passant ses deux bras autour du cou ; sois tranquille, je travaillerai beaucoup, beaucoup, comme si tu étais là ; et quand tu reviendras, tu seras contente de moi !

- Oui, répondit Louise, tu travailleras beaucoup, chère enfant, j'en suis sûre, mais resteras-tu bien fidèle à notre petit règlement, toi qui ne regardes jamais à l'heure ?


- Qu'est-ce que cela fait, répondit Cécile, pourvu que je travaille ?


- Mais il faut travailler avec ordre, ma chérie, et si tu passes à une leçon le temps que tu aurais dû partager entre deux, il y en aura une que tu n'auras pas apprise.


- Eh bien, je l'apprendrai le lendemain.


- Le lendemain, le lendemain ! reprit Louise. Mais, le lendemain, tu auras d'autres leçons encore, tu te trouveras surchargée de travail, tu te fatigueras pour venir à bout de tes devoirs, et tu n'auras plus le temps de prendre de récréation ; et alors notre petit jardin, qui le soignera ?


- Eh bien, chère petite maman, reprit la jeune sœur, on le fera tout ce que vous voulez : on regardera la pendule, et l'on sera absolument comme si vous étiez là !

- A la bonne heure, chère petite fille, répondit la grande sœur, faites ce que vous dites, et l'on vous aimera ; et l'on vous aimera ; et l'on vous aimera encore, » ajouta-t-elle en la serrant et en l'embrassant bien fort.


On régla toutes les leçons, tout le travail que Cécile devait faire pendant les quinze jours d'absence de Louise, et puis, au moment de partir, la grande sœur dit à la petite : « Enfant, ménage bien chacune de tes heures. Laisser passer un jour et compter sur le lendemain, est une chose plus folle que de jeter à l'eau une pièce d'or et de compter sur sa bourse. Si tu observes le règlement notre réséda saura me le dire.


- Comment, reprit Cécile étonnée, notre réséda saura te le dire !

Mais Louise était déjà partie, et Cécile n'eut pas de réponse à sa question.

-- A suivre !

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