22.6.12

Albertine


Quelquefois il faisait un si beau clair de lune, qu’une heure après qu’Albertine était couchée, j’allais jusqu’à son lit pour lui dire de regarder la fenêtre. [...] 

Dans la chambre sombre, je ne voyais rien que, sur la blancheur de l’oreiller, un mince diadème de cheveux noirs. Mais j’entendais la respiration d’Albertine. Son sommeil était si profond que j’hésitais d’abord à aller jusqu’au lit. Puis, je m’asseyais au bord. Le sommeil continuait de couler avec le même murmure. 

Ce qui est impossible à dire, c’est à quel point ses réveils étaient gais. Je l’embrassais, je la secouais. Aussitôt elle s’arrêtait de dormir, mais, sans même l’intervalle d’un instant, éclatait de rire, me disant, en nouant ses bras à mon cou : « J’étais justement en train de me demander si tu ne viendrais pas », et elle riait tendrement de plus belle. 

On aurait dit que sa tête charmante, quand elle dormait, n’était pleine que de gaîté, de tendresse et de rire. Et en l’éveillant j’avais seulement, comme quand on ouvre un fruit, fait fuser le jus jaillissant qui désaltère. 

-- Marcel Proust, La Prisonnière 

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