Quelquefois
il faisait un si beau clair de lune, qu’une heure après
qu’Albertine était couchée, j’allais jusqu’à son lit pour
lui dire de regarder la fenêtre. [...]
Dans la chambre sombre, je ne voyais rien que, sur la
blancheur de l’oreiller, un mince diadème de cheveux noirs. Mais
j’entendais la respiration d’Albertine. Son sommeil était si
profond que j’hésitais d’abord à aller jusqu’au lit. Puis, je
m’asseyais au bord. Le sommeil continuait de couler avec le même
murmure.
Ce qui est impossible à dire, c’est à quel point ses
réveils étaient gais. Je l’embrassais, je la secouais. Aussitôt
elle s’arrêtait de dormir, mais, sans même l’intervalle d’un
instant, éclatait de rire, me disant, en nouant ses bras à mon cou
: « J’étais justement en train de me demander si tu ne viendrais
pas », et elle riait tendrement de plus belle.
On aurait dit que sa
tête charmante, quand elle dormait, n’était pleine que de gaîté,
de tendresse et de rire. Et en l’éveillant j’avais seulement,
comme quand on ouvre un fruit, fait fuser le jus jaillissant qui
désaltère.
-- Marcel Proust, La Prisonnière
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