20.3.14

Le mystère du chaume

Si donc ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-lui à boire ; car en faisant cela, tu lui  amasseras des charbons de feu sur la tête. – Romains 12:20

Faites du bien à ceux qui vous haïssent. – Matthieu 5:44 

S'il avait été éveillé, le prédicateur Pierre aurait certainement entendu les pas rapides qui résonnaient dans la rue pavée du petit village d'Emmenthal, en Suisse, alors que des silhouettes sombres se profilaient dans la nuit. Chaque instant rapprochait les jeunes hommes de la maison obscurcie du vieux prêtre mennonite et de sa femme. La vie était très difficile pour eux car, au dix-huitième siècle, les Mennonites étaient toujours persécutés en Suisse. 

« Nous verrons maintenant de quelle pâte il est fait ! murmura l'un des jeunes hommes. Peut-être ne sera-t-il plus aussi aimable après notre visite de ce soir ! Puis il rit sourdement.
- C'est cette maison-ci, chuchota un autre. »
A pas de loup, ils s'approchèrent, en scrutant des yeux l'obscurité.
« Personne ne bouge. Faisons bien notre besogne. »
Les hommes se hissèrent rapidement sur le toit et bientôt des bruits sourds de chaume tombante se mêlaient aux autres sons nocturnes. Ils travaillaient vite de peur que quelqu'un ne surprenne leur traîtrise.

A l'intérieur, Pierre remua dans son sommeil. Une rumeur étrange se faisaient entendre ; il s'assit dans son lit.
« Quelque chose ne va pas, pensa-t-il. Il y a des crissements sur le toit. »
Prudemment, il traversa la chambre sur la pointe des pieds et atteignit la porte d'entrée. Il souleva le loquet. Ces alors qu'il distingua, dans le noir, sur le toit, les formes de plusieurs hommes qui travaillaient avec ardeur.

« Que signifie cela ? pensa-t-il, déconcerté. Ils sont à défaire mon chaume ! »

Puis il comprit peu à peu. Il n'était pas sans savoir que beaucoup de gens à Emmenthal n'admettaient pas que lui et les siens refusent la guerre. Quand on les menaçait de prison ou de mort, Pierre et ses amis disaient simplement : « Nous aimerions mieux mourir de la mort la plus cruelle plutôt que de désobéir à Dieu. »

« Et maintenant ils sont encore venus m'embêter, pensa le prédicateur. »

Levant les yeux au ciel, Pierre pria Dieu de l'aider à faire ce qui serait bien. Alors, il pénétra à pas rapides dans la petite demeure.

« Mère, dit-il, en haussant un peu la voix, des travailleurs sont venus nous voir ; il serait bon que tu leur prépares un repas. »

Les circonstances extraordinaires des dernières minutes avaient étonné son épouse, jusqu'à ce qu'elle saisisse. A présent elle comprenait. Elle se mit aussitôt assidûment au travail dans la cuisine. Sous peu, un bon repas ornait la table. Ouvrant de nouveau la porte, le vieillard appela les garçons sur le toit : « Vous avez travaillé longtemps et durement. Vous devez avoir faim. Entrez, à présent, et mangez ! »

Ahuris et hésitants, les jeunes hommes s'exécutèrent sans grâce ; dégringolèrent de leur perche aérienne et pénétrèrent, tout penauds, dans la petite pièce. Ils se tinrent là, mal à leur aise, disposés autour de la table sur laquelle les cierges allumés répandaient une lueur chaleureuse. Pierre les pressant de s'asseoir, ils finirent par prendre place, s'assirent inconfortablement, fixant leurs assiettes. Le maître de maison inclina la tête et joignit les mains pendant que les invités restaient silencieux.

Alors, de sa voix pleine d'amour, le vieil homme pria sincèrement, tendrement et avec ferveur pour ses invités et pour sa famille. Une fois les dernières paroles de la prière prononcées, les convives levèrent des visages rougis de honte. On fit passer la nourriture, qui se retrouva dans leurs assiettes, mais il semblait qu'ils ne pouvaient manger.

Soudain, comme par un signal et d'un commun accord, les hommes repoussèrent leurs chaises et s'en furent par le seuil où ils étaient passés quelques moments auparavant. On entendit de nouveau des pas sur la toiture, et le tumulte lourd du chaume que l'on déplace. Mais à présent ce n'était plus le son du chaume qui tombe. Ils refaisaient le toit ! Alors, si le prédicateur Pierre écoutait (et il me semble bien que c'était le cas !), il aurait pu entendre les pas pressés de ses invités qui descendaient en courant la rue pavée pour disparaître dans la nuit.

-- Histoire vraie, tirée du recueil Braises ardentes, de E.H.Bauman

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