17.3.14

L'Amour fraternel

La plus ancienne joie dont je me souviens fut de voir ce beau petit frère endormi dans son berceau. Dès qu'il put marcher, je devins son protecteur ; dès qu'il put parler, il me consola. Que de jours sombres changés en jours d'allégresse parce que cet enfant m'a aimé ! Que d'heures pénibles, pleines de mauvais conseils et promises au mal, ont été abrégées par sa présence, et terminées innocemment dans les douces fêtes du cœur !

Nous allions ensemble à l'école, nous revenions ensemble au logis ; le matin, je portais le panier, parce que nos provisions le rendaient plus lourd ; c'était lui qui le portait le soir. Toujours nous faisions cause commune. Je ne le laissais point insulter ; et lui, quand j'avais quelque affaire, sans s'informer du sujet de la querelle, sans considérer ni la taille ni le nombre de mes ennemis, il m'apportait résolument le concours de ses petits poings, et je devenais tout à la fois accommodant et redoutable, tant je tremblais qu'il n'attrapât des coups dans la bagarre.

Certes, je n'ai pas subi une punition qui ne l'ait indigné comme une grande injustice. Si j'étais au pain sec, il savait bien me garder la moitié de ses noix et la moitié de sa moitié de pomme. Une fois, il vint en pleurant ; et pourtant il apportait un morceau de sucre, un grappillon de raisin et quelque reste de rôti. Festin de roi ! Je m'informai de ce qui le faisait pleurer : « Ah ! me dit-il, la soupe était si bonne, mon frère ! » Telle était notre mutuelle affection, que les préférences dont son caractère et sa gentillesse étaient l'objet ne le rendaient pas orgueilleux, ni moi jaloux.

Souvent, j'aurais fait l'école buissonnière ; mais il m'aurait suivi et j'aimais mieux, ô merveille ! quel que fût le beau temps, remplir mon devoir avec lui que de lui faire partager la responsabilité de mon crime. Nous traversions des jardins pleins de choses tentantes, et je regardais tout d'un oeil stoïque. Ce n'était pas pour éviter de lui donner mauvais exemple : c'est qu'il aurait pu, à son âge, fuir aussi lestement que moi.

Nous avons grandi, nous avons vieilli, nous tenant par la main et par le coeur. Nous sommes encore ces deux frères qui se rendaient à l'école ensemble, portant leurs provisions dans le même panier, ayant les mêmes adversaires, les mêmes soucis, la même fortune et les mêmes plaisirs ; l'un ne peut souffrir, que l'autre ne pleure ; l'un ne peut se réjouir, que l'autre ne soit heureux.
-- Louis VEUILLOT, Les Libres penseurs.




« Un frère est un ami donné par la nature, un ami que nul ne suplée, qu'une fois perdu nul ne remplace. L'union fraternelle est la force et la santé des familles. » – Plutarque

« Pour ce qui est de l'amour fraternel, vous n'avez pas besoin qu'on vous en écrive; car vous avez vous-mêmes appris de Dieu à vous aimer les uns les autres. » (1 Thessaloniciens 4:9)

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