15.5.14

L'Homme rend le bien

Je payai le pêcheur qui passa son chemin,
Et je pris cette bête horrible dans ma main ;
C'était un être obscur comme l'onde en apporte,
Qui, plus grand, serait hydre, et, plus petit, cloporte ;
Sans forme, comme l'ombre, et, comme Dieu, sans nom.

Il ouvrait une bouche affreuse, un noir moignon
Sortait de son écaille ; il tâchait de me mordre ;
Dieu, dans l'immensité formidable de l'ordre,
Donne une place sombre à ces spectres hideux ;
Il tâchait de me mordre, et nous luttions tous deux ;
Ses dents cherchaient mes doigts qu'effrayait leur approche ; 
L'homme qui me l'avait vendu tourna la roche ;
Comme il disparaissait, le crabe me mordit ;

Je lui dis : - Vis ! et sois béni, pauvre maudit !
Et je le rejetai dans la vague profonde,
Afin qu'il allât dire à l'océan qui gronde,
Et qui sert au soleil de vase baptismal,
Que l'homme rend le bien au monstre pour le mal.

-- Victor Hugo, Les contemplations

A celle que j'aime

Dans ta mémoire immortelle,
Comme dans le reposoir
D'une divine chapelle,
Pour celui qui t'est fidèle,
Garde l'amour et l'espoir.

Garde l'amour qui m'enivre,
L'amour qui nous fait rêver ;
Garde l'espoir qui fait vivre ;
Garde la foi qui délivre,
La foi qui doit nous sauver.

L'espoir, c'est de la lumière,
L'amour, c'est une liqueur,
Et la foi, c'est la prière.
Mets ces trésors, ma très chère,
Au plus profond de ton coeur.

-- Nérée Beauchemin, Les floraisons matutinales

Claire fontaine

Claire fontaine où rossignole
Un rossignol jamais lassé,
N’es-tu pas le charmant symbole
D’un cher passé ?

Source de fraîche mélodie,
Qui fait fleurir, sous nos frimas,
Ce rosier blanc de Normandie,
Qui ne meurt pas !

À ce bouton de rose blanche,
L’hiver ne fut jamais fatal,
Non plus qu’au chêne qui se penche
Sur ton cristal.

Oh ! c’est une peine immortelle
Qui s’épanche, en larmes d’amour,
Dans la naïve ritournelle
De l’ancien jour.

C’est un reflet des ciels de France,
Ô fontaine, que tu fais voir,
Dans la limpide transparence
De ton miroir.

-- Nérée Beauchemin, Patrie intime

La Mer

Loin des grands rochers noirs que baise la marée,
La mer calme, la mer au murmure endormeur,
Au large, tout là-bas, lente s’est retirée,
Et son sanglot d’amour dans l’air du soir se meurt.

La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage,
Au profond de son lit de nacre inviolé
Redescend, pour dormir, loin, bien loin du rivage,
Sous le seul regard pur du doux ciel étoilé.

La mer aime le ciel : c’est pour mieux lui redire,
À l’écart, en secret, son immense tourment,
Que la fauve amoureuse, au large se retire,
Dans son lit de corail, d’ambre et de diamant.

Et la brise n’apporte à la terre jalouse,
Qu’un souffle chuchoteur, vague, délicieux :
L’âme des océans frémit comme une épouse
Sous le chaste baiser des impassibles cieux.

-- Nérée Beauchemin, Les Floraisons matutinales

14.5.14

Citations : Souffrance

L'âme qui aime et qui souffre est à l'état sublime. -- V.Hugo

Avoir souffert rend tellement plus perméable à la souffrance des autres. -- Abbé Pierre

Souffrir passe. Avoir souffert ne passe pas.  -- Louise-Marie de France
  
L'amour n'est pas fait pour nous rendre heureux. Je crois qu'il est fait pour nous révéler dans quelle mesure nous avons la force de souffrir et de supporter.  -- Hermann Hesse

A un cœur qui souffre, rien n'est bon comme d'aimer. -- V.Hugo

L'homme est un apprenti, la douleur est son maître,
Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. -- Alfred de Musset

Nous avons tous la prétention de souffrir beaucoup plus que les autres. -- Honoré de Balzac

C'est une loi : souffrir pour comprendre.  -- Eschyle

La grande question de la vie est la douleur que l'on cause, et la métaphysique la plus ingénieuse ne justifie pas l'homme qui a déchiré le cœur qui l'aimait. -- Benjamin Constant, Adolphe, rép. de l'éditeur

Le plus pur bonheur du monde renferme un pressentiment de souffrance. -- Goethe

Qui sait tout souffrir peut tout oser. -- Vauvenargues

Voir souffrir quelqu'un qu'on aime est l'une des pires souffrances au monde. -- Jean Chalon

L'indifférence est un crime envers la vie et envers la souffrance. -- Emil Cioran, Le livre des leurres, 1936

Malgré les épreuves il faut continuer de sourire à la vie. Autrement, elle se fâche et coupe vite le courant à ceux qui ont cessé de croire en elle et de l'aimer dans la souffrance comme dans la joie. -- Raymond Lecours

La souffrance d'autrui, même lorsqu'on connaît la cause, est une porte verrouillée de l'intérieur contre laquelle on ne peut que frapper discrètement pour que l'autre sache qu'il n'est pas seul. -- Yvon Rivard, Les Silences du corbeau

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. -- Alfred de Musset

La souffrance, nous lui devons tout ce qu'il y a de bon en nous, tout ce qui donne du prix à la vie. -- Anatole France, Le Jardin d'Epicure, 1895 

Il n'y a qu'une souffrance, c'est d'être seul. -- Gabriel Marcel, Le Coeur des autres, 1921

La souffrance peut être le chemin de la foi ou celui du blasphème. -- Abbé Pierre, Pensées (1912-2007)

La souffrance qu'on a subie doit rendre compatissant et bon. -- George Sand, Lélia, X, 1833

Pourquoi je ne pouvais pas me battre (2)

A l'officier de renseignement



1 - Le sujet en question


« Pourquoi n'êtes-vous pas en mesure de combattre? »
On me lança ces mots d'une voix grave et bourrue. C'était l'officier de renseignement, corpulent, juché à son grand bureau.
On était un matin d'hiver en 1918 au campement Greanleaf, au fort Oglethorpe en Géorgie. Le caporal de notre détachement d'objecteurs de conscience m'annonça que j'étais appelé à comparaître devant l'officier de renseignement. Je me préparai rapidement à partir. Un garde personnel, baïonnette au fusil, devait me mener à l'endroit, qui se trouvait à quelques kilomètres de nos tentes. Il se mit à marcher derrière moi en tenant à deux mains son fusil, dirigé dans mon dos, la baïonnette me frôlant le manteau. Cette démarche donnait l'impression d'une personne dangereuse qu'on emmenait. Je savais que le garde n'avait pas de mauvaise volonté envers moi. J'imagine qu'il devait avoir honte, car il savait bien que je n'essaierais pas de m'évader. Mais il avait reçu des ordres de son supérieur. Nous ne nous sommes pas parlé sauf quand il me disait où tourner.
Nous arrivâmes enfin et l'on m'introduisit dans le bureau.
« Que faites-vous ici ? me demanda-t-on de l'autre côté du bureau.
- Monsieur, je ne sais pas ; mais on m'a dit que vous m'aviez appelé. »

Il me regarda de travers puis s'enquit brusquement :
« Pourquoi ne pouvez-vous pas combattre? » Je me mis à répondre à sa question, mais mes explications l'intéressaient pas. Il haussa la voix et me demanda brutalement : « Vous ne vous battez donc jamais ? »
- Non, monsieur.
- Mon œil !
- Monsieur, je n'ai pas dit que je ne me sois jamais battu. J'ai dit que je ne me bats pas.
- Dites-moi, à quelle occasion vous êtes-vous battu ?
- Quand j'étais petit je faisais parfois la bagarre à mes frères et à mes camarades de classe. Mais maintenant, monsieur, je ne me bats pas.
- Vous arrive-t-il de mentir ?
- Non, monsieur, je ne mens pas.
- Là tout de suite, vous mentez.
- Monsieur, je n'ai pas dit n'avoir jamais menti. J'ai dit seulement que je ne dis pas de mensonges. »


Ce fut la fin de ce sujet-là, mais la conversation continua un bon moment de la sorte. De toute apparence, il essayait de me mettre en colère pour que je réponde vertement ou manifeste d'une autre manière de la colère.
« Ce qu'on devrait faire des gens de ta sorte, c'est de vous adosser à ce mur et éclater votre cervelle à la carabine. »
Je restai muet, mais je ne réponds pas de mon visage, dont l'expression a pu trahir quelque chose à mon insu. Je sais qu'il n'y avait dans mon cœur aucune colère, mais, j'avoue qu'il s'y trouvait de la peur.
L'officier prenait des notes à chaque fois que je répondais à l'une de ses nombreuses interrogations. Il repoussa à présent son document d'un geste de dégoût, comme pour le mettre de côté. Il se leva alors et dit : « Attendez ici que je revienne. »
Par hasard, la feuille glissa assez près pour que je puisse la lire, mais quelque chose m'avertit immédiatement de ne pas en prendre connaissance ni même de la regarder.
Au bout d'une dizaine de minutes, l'officier revint et s'assit. Il tira à lui le document. Puis il recommença du début et se remit, d'une humeur orageuse, à me bassiner du même genre de questions qu'auparavant.
Je voyais maintenant qu'il regardait constamment la fiche en me parlant. J'étais bien heureux de ne pas l'avoir lue. C'était sans doute un piège qu'il m'avait tendu là.
Tout d'un coup, sa face changea d'aspect, et sa voix prit un ton doux et chaleureux. « Votre gouvernement, me dit-il, vous a trouvé digne de travailler dans une ferme au lieu de passer votre temps ici au campement. » Il me parlait très gentiment comme un père à un fils bien-aimé. Il semblait qu'il m'aimât, dans un certain sens. Il m'informa que je serais à la ferme sous une quinzaine de jours, et puis il me donna des conseils excellents sur ma conduite dans ce lieu. Il m'avertit que je serais surveillé par des personnes qui feraient un rapport au camp.
« Vous pouvez repartir à présent, et je vous souhaite un bon séjour à la ferme. »
« Merci, monsieur. » Je repris le chemin de ma tente, marchant de nouveau devant mon garde. En allant vers ce bureau, le chemin avait été difficile et rugueux. Mais la voie du retour était bien différente ; je marchais comme sur des nuages.
Ma réponse à la question « Pourquoi ne pouvez-vous pas combattre ? » n'était qu'un vain effort de clarté, mais j'essayais d'être courtois. Si j'avais eu moins peur et lui avais donné une réponse complète, il n'aurait sûrement eu ni le temps ni la patience de tout écouter. Il ne s'intéressait pas vraiment à obtenir une réponse plus exhaustive. S'il me réprimandait, c'était avant tout parce que je ne me laissais pas guider par les officiers dans les différentes activités de cette base militaire.
Disons aussi que j'aurais été bien incapable à l'époque de donner mes raisons aussi clairement que je le peux maintenant, cinquante-cinq ans plus tard. Je les avais déjà à l'esprit à l'époque, mais sans réussir à les exprimer complètement.
Pour cet écrit, je supposerai que c'est sincèrement qu'on me pose la question, « Pourquoi ne pouvez-vous pas vous battre ? », et non sur le ton de la réprimande.
-- L.A.Kniss

13.5.14

Premier amour


    Un autre plus heureux, va unir son sort à celui de mon amie. Mais, quoiqu’elle trompe ainsi mes plus chère espérances, dois-je la moins aimer ?
Mackensie, l’Homme sensible.

Printemps, que me veux-tu ? pourquoi ce doux sourire,
Ces fleurs dans tes cheveux et ces boutons naissants ?
Pourquoi dans les bosquets cette voix qui soupire,
Et du soleil d’avril ces rayons caressants ?

Printemps si beau, ta vue attriste ma jeunesse ;
De biens évanouis tu parles à mon cœur ;
Et d’un bonheur prochain ta riante promesse
M’apporte un long regret de mon premier bonheur.

Un seul être pour moi remplissait la nature ;
En ses yeux je puisais la vie et l’avenir ;
Au musical accent de sa voix calme et pure,
Vers un plus frais matin je croyais rajeunir.

Oh ! combien je l’aimais ! et c’était en silence !
De son front virginal arrosé de pudeur,
De sa bouche où nageait tant d’heureuse indolence,
Mon souffle aurait terni l’éclatante candeur.

Par instants j’espérais. Bonne autant qu’ingénue,
Elle me consolait du sort trop inhumain ;
Je l’avais vue un jour rougir à ma venue,
Et sa main par hasard avait touché ma main.

Que de fois, étalant une robe nouvelle,
Naïve, elle appela mon regard enivré,
Et sembla s’applaudir de l’espoir d’être belle,
Préférant le ruban que j’avais préféré !

Ou bien, si d’un pinceau la légère finesse
Sur l’ovale d’ivoire avait peint ses attraits,
Le velours de sa joue, et sa fleur de jeunesse,
Et ses grands sourcils noirs couronnant tous ses traits ;

Ah ! qu’elle aimait encor, sur le portrait fidèle
Que ses doigts blancs et longs me tenaient approché,
Interroger mon goût, le front vers moi penché,
Et m’entendre à loisir parler d’elle près d’elle !

Un soir, je lui trouvai de moins vives couleurs :
Assise, elle rêvait : sa paupière abaissée
Sous ses plis transparents dérobait quelques pleurs ;
Son souris trahissait une triste pensée.

Bientôt elle chanta ; c’était un chant d’adieux.
Oh ! comme, en soupirant la plaintive romance,

Sa voix se fondait toute en pleurs mélodieux,
Qui, tombés en mon cœur, éteignaient l’espérance !

Le lendemain un autre avait reçu sa foi.
Par le vœu de ta mère à l’autel emmenée,
Fille tendre et pieuse, épouse résignée,
Sois heureuse par lui, sois heureuse sans moi !

Mais que je puisse au moins me rappeler tes charmes ;
Que de ton souvenir l’éclat mystérieux
Descende quelquefois au milieu de mes larmes,
Comme un rayon de lune, un bel Ange des cieux !

Qu’en silence adorant ta mémoire si chère,
Je l’invoque en mes jours de faiblesse et d’ennui ;
Tel en sa sœur aînée un frère cherche appui,
Tel un fils orphelin appelle encor sa mère.

-- Charles Augustin Sainte-Beuve, Joseph Delorme

7.5.14

Un enfant apportera le bonheur dans la paix

Écrit en l'an 37 avant Jésus-Christ.

Le dernier âge prédit par la Sibylle est arrivé : le grand ordre des siècles recommence.
Déjà revient aussi la Vierge, revient aussi le règne de Saturne :
déjà du haut des cieux descend une nouvelle race.

Chaste Lucine, favorise seulement la naissance de cet enfant sous lequel cessera l'âge
de fer et renaîtra l'âge d'Or pour le monde entier.
C'est sous tes auspices que les traces de nos forfaits, s'il en reste encore, disparaîtront pour toujours,
délivrant l'univers d'une éternelle alarme.

Cet enfant vivra de la vie des dieux, il verra les héros mêlés avec les dieux ; ils le verront lui-même
et il gouvernera le monde pacifié par les vertus de son père.

Enfant, la terre t'offrira le lierre, mêlé aux plantes d’Égypte et de Grèce, les chèvres apporteront
leurs mamelles pleines de lait, les troupeaux ne craindront plus le lion superbe,
et ton berceau sera couvert de fleurs caressantes. La grappe vermeille se suspendra aux buissons incultes
et les chênes durs laisseront perler une rosée de miel.

Toute terre produira toutes choses. Les champs ne sentiront plus la herse, ni la vigne la serpe,
les taureaux seront libérés du joug, dans les prés, le bélier changera lui-même la couleur
de sa toison de laine, etc.

Cher enfant des dieux, prépare-toi aux magistratures suprêmes, noble rejeton du grand Jupiter,
vois comme tout se réjouit de la venue de ce siècle.

Que le cours de ma vie soit assez long pour célébrer tes actions par mes chants, que ne vaincront
ni ceux du thrace Orphée, inspirés par sa mère Calliope, ni ceux de Linus inspirés par Apollon,
ni même ceux de Pan qui au jugement de l'Arcadie s'avouerait vaincu.

– VIRGILE (70 – 19 av. J.-C.), Bucolique IV


A cette même époque et de façon tout-à-fait indépendante, la sibylle grecque Tiburtine
avait annoncé à Octave la venue du Christ, messager de paix.

--
"Le loup habitera avec l'agneau, [...] Et un petit enfant les conduira." (Esaïe 11.6)
--

XVIII 
Dans Virgile parfois, dieu tout près d’être un ange,
Le vers porte à sa cime une lueur étrange.
C’est que, rêvant déjà ce qu’à présent on sait,
Il chantait presque à l’heure où Jésus vagissait.
C’est qu’à son insu même il est une des âmes
Que l’orient lointain teignait de vagues flammes.
C’est qu’il est un des cœur que, déjà sous les cieux,
Dorait le jour naissant du Christ Mystérieux!
Dieu voulait qu’avant tout, rayon du fils de l’homme,
L’aube de Bethléem blanchît le front de Rome.

Nuit du 21 au 22 mars 1837
– VICTOR HUGO

4.5.14

Ces lieux sont purs

Victor HUGO (1802-1885)
(Recueil : Les chansons des rues et des bois)


A Jeanne

Ces lieux sont purs ; tu les complètes.
Ce bois, loin des sentiers battus,
Semble avoir fait des violettes,
Jeanne, avec toutes tes vertus.

L'aurore ressemble à ton âge ;
Jeanne, il existe sous les cieux
On ne sait quel doux voisinage
Des bons cœurs avec les beaux lieux.

Tout ce vallon est une fête
Qui t'offre son humble bonheur ;
C'est un nimbe autour de ta tête ;
C'est un éden en ton honneur.

Tout ce qui t'approche désire
Se faire regarder par toi,
Sachant que ta chanson, ton rire,
Et ton front, sont de bonne foi.

Ô Jeanne, ta douceur est telle
Qu'en errant dans ces bois bénis,
Elle fait dresser devant elle
Les petites têtes des nids.

Ce qui remplit une âme

Victor HUGO (1802-1885)
(Recueil : Les chants du crépuscule)


Hier, la nuit d'été, qui nous prêtait ses voiles,
  Était digne de toi, tant elle avait d'étoiles !
Tant son calme était frais ! tant son souffle était doux !
Tant elle éteignait bien ses rumeurs apaisées !
Tant elle répandait d'amoureuses rosées
Sur les fleurs et sur nous !

Moi, j'étais devant toi, plein de joie et de flamme,
Car tu me regardais avec toute ton âme !
J'admirais la beauté dont ton front se revêt.
Et sans même qu'un mot révélât ta pensée,
La tendre rêverie en ton cœur commencée
Dans mon cœur s'achevait !

Et je bénissais Dieu, dont la grâce infinie
Sur la nuit et sur toi jeta tant d'harmonie,
Qui, pour me rendre calme et pour me rendre heureux,
Vous fit, la nuit et toi, si belles et si pures,
Si pleines de rayons, de parfums, de murmures,
Si douces toutes deux !

Oh oui, bénissons Dieu dans notre foi profonde !
C'est lui qui fit ton âme et qui créa le monde !
Lui qui charme mon cœur ! lui qui ravit mes yeux !
C'est lui que je retrouve au fond de tout mystère !
C'est lui qui fait briller ton regard sur la terre
Comme l'étoile aux cieux !

C'est Dieu qui mit l'amour au bout de toute chose,
L'amour en qui tout vit, l'amour sur qui tout pose !
C'est Dieu qui fait la nuit plus belle que le jour.
C'est Dieu qui sur ton corps, ma jeune souveraine,
A versé la beauté, comme une coupe pleine,
Et dans mon cœur l'amour !

Laisse-toi donc aimer ! - Oh ! l'amour, c'est la vie.
C'est tout ce qu'on regrette et tout ce qu'on envie
Quand on voit sa jeunesse au couchant décliner.
Sans lui rien n'est complet, sans lui rien ne rayonne.
La beauté c'est le front, l'amour c'est la couronne :
Laisse-toi couronner !

Ce qui remplit une âme, hélas ! tu peux m'en croire,
Ce n'est pas un peu d'or, ni même un peu de gloire,
Poussière que l'orgueil rapporte des combats,
Ni l'ambition folle, occupée aux chimères,
Qui ronge tristement les écorces amères
Des choses d'ici-bas ;

Non, il lui faut, vois-tu, l'hymen de deux pensées,
Les soupirs étouffés, les mains longtemps pressées,
Le baiser, parfum pur, enivrante liqueur,
Et tout ce qu'un regard dans un regard peut lire,
Et toutes les chansons de cette douce lyre
Qu'on appelle le cœur !

Il n'est rien sous le ciel qui n'ait sa loi secrète,
Son lieu cher et choisi, son abri, sa retraite,
Où mille instincts profonds nous fixent nuit et jour ;
Le pêcheur a la barque où l'espoir l'accompagne,
Les cygnes ont le lac, les aigles la montagne,
Les âmes ont l'amour !

21 mai 1833