25.3.14

Générosité

Un passage un peu cryptique peut-être au premier abord, mais que je trouve d'une délicate beauté. Merci à la personne qui, en me le transmettant, suivait déjà ainsi les préceptes ci-dessous.

Je pourrais te citer mille traits de ta générosité, mille paroles d'apôtre qui sont sorties de ta bouche. Ah ! mon ami, peux-tu désavouer tant de richesses ? Peux-tu montrer, à la fois, tant d'amertume et tant de prodigalité ?
Chaque jour, tu découvres chez les autres des éléments de bonheur qu'ils méconnaissent ou négligent. Alors, n'hésite pas : montre-leur quel parti fructueux ils doivent tirer de leurs biens. [...]
 
Évalue ta richesse à l'importance de ce que tu donnes. Dessaisis-toi hardiment. Tout te sera rendu sur l'heure et au centuple. Si les grands apôtres ont pu porter la bonne nouvelle, c'est qu'ils avaient la foi ; mais rien n'a pu mieux exalter leur foi que de porter la bonne nouvelle.

Si tu as pris de l'intérêt à une lecture, une promenade, si tu as trouvé de l'étonnement à un spectacle, convie tous ceux que tu connais à faire cette lecture ou cette promenade, à contempler ce spectacle. Apporte du discernement dans tes invitations. Défie-toi un peu des sceptiques, des esprits ironiques, cruels ou contradicteurs. Défie-toi d'eux, mais ne les abandonne pas : ils sont ces brebis égarées dont le retour doit réjouir suprêmement ton cœur. Lorsque tu leur auras fait avouer : "Oui ! voilà qui est très beau ! Oui ! voilà qui est très intéressant, voilà qui vaut la peine de vivre !" tu pourras t'endormir en souriant ; tu n'auras pas perdu ta journée.

Quelquefois, tu feras une découverte si ténue, si délicate que, par avertissement secret, tu sauras qu'elle n'est pas communicable, qu'elle est strictement individuelle, qu'elle doit rester une relation intime du monde à ton âme. En ce cas, réserve-toi. 
Un jour viendra, peut-être, où ta pensée se précisera en s'amplifiant ; ce jour-là, tu seras mystérieusement informé que ton bien a perdu son caractère privé, qu'il devient propre à nourrir la communion. Ce jour-là, tu parleras.

-- Georges Duhamel, La Possession du monde

20.3.14

Le mystère du chaume

Si donc ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s'il a soif, donne-lui à boire ; car en faisant cela, tu lui  amasseras des charbons de feu sur la tête. – Romains 12:20

Faites du bien à ceux qui vous haïssent. – Matthieu 5:44 

S'il avait été éveillé, le prédicateur Pierre aurait certainement entendu les pas rapides qui résonnaient dans la rue pavée du petit village d'Emmenthal, en Suisse, alors que des silhouettes sombres se profilaient dans la nuit. Chaque instant rapprochait les jeunes hommes de la maison obscurcie du vieux prêtre mennonite et de sa femme. La vie était très difficile pour eux car, au dix-huitième siècle, les Mennonites étaient toujours persécutés en Suisse. 

« Nous verrons maintenant de quelle pâte il est fait ! murmura l'un des jeunes hommes. Peut-être ne sera-t-il plus aussi aimable après notre visite de ce soir ! Puis il rit sourdement.
- C'est cette maison-ci, chuchota un autre. »
A pas de loup, ils s'approchèrent, en scrutant des yeux l'obscurité.
« Personne ne bouge. Faisons bien notre besogne. »
Les hommes se hissèrent rapidement sur le toit et bientôt des bruits sourds de chaume tombante se mêlaient aux autres sons nocturnes. Ils travaillaient vite de peur que quelqu'un ne surprenne leur traîtrise.

A l'intérieur, Pierre remua dans son sommeil. Une rumeur étrange se faisaient entendre ; il s'assit dans son lit.
« Quelque chose ne va pas, pensa-t-il. Il y a des crissements sur le toit. »
Prudemment, il traversa la chambre sur la pointe des pieds et atteignit la porte d'entrée. Il souleva le loquet. Ces alors qu'il distingua, dans le noir, sur le toit, les formes de plusieurs hommes qui travaillaient avec ardeur.

« Que signifie cela ? pensa-t-il, déconcerté. Ils sont à défaire mon chaume ! »

Puis il comprit peu à peu. Il n'était pas sans savoir que beaucoup de gens à Emmenthal n'admettaient pas que lui et les siens refusent la guerre. Quand on les menaçait de prison ou de mort, Pierre et ses amis disaient simplement : « Nous aimerions mieux mourir de la mort la plus cruelle plutôt que de désobéir à Dieu. »

« Et maintenant ils sont encore venus m'embêter, pensa le prédicateur. »

Levant les yeux au ciel, Pierre pria Dieu de l'aider à faire ce qui serait bien. Alors, il pénétra à pas rapides dans la petite demeure.

« Mère, dit-il, en haussant un peu la voix, des travailleurs sont venus nous voir ; il serait bon que tu leur prépares un repas. »

Les circonstances extraordinaires des dernières minutes avaient étonné son épouse, jusqu'à ce qu'elle saisisse. A présent elle comprenait. Elle se mit aussitôt assidûment au travail dans la cuisine. Sous peu, un bon repas ornait la table. Ouvrant de nouveau la porte, le vieillard appela les garçons sur le toit : « Vous avez travaillé longtemps et durement. Vous devez avoir faim. Entrez, à présent, et mangez ! »

Ahuris et hésitants, les jeunes hommes s'exécutèrent sans grâce ; dégringolèrent de leur perche aérienne et pénétrèrent, tout penauds, dans la petite pièce. Ils se tinrent là, mal à leur aise, disposés autour de la table sur laquelle les cierges allumés répandaient une lueur chaleureuse. Pierre les pressant de s'asseoir, ils finirent par prendre place, s'assirent inconfortablement, fixant leurs assiettes. Le maître de maison inclina la tête et joignit les mains pendant que les invités restaient silencieux.

Alors, de sa voix pleine d'amour, le vieil homme pria sincèrement, tendrement et avec ferveur pour ses invités et pour sa famille. Une fois les dernières paroles de la prière prononcées, les convives levèrent des visages rougis de honte. On fit passer la nourriture, qui se retrouva dans leurs assiettes, mais il semblait qu'ils ne pouvaient manger.

Soudain, comme par un signal et d'un commun accord, les hommes repoussèrent leurs chaises et s'en furent par le seuil où ils étaient passés quelques moments auparavant. On entendit de nouveau des pas sur la toiture, et le tumulte lourd du chaume que l'on déplace. Mais à présent ce n'était plus le son du chaume qui tombe. Ils refaisaient le toit ! Alors, si le prédicateur Pierre écoutait (et il me semble bien que c'était le cas !), il aurait pu entendre les pas pressés de ses invités qui descendaient en courant la rue pavée pour disparaître dans la nuit.

-- Histoire vraie, tirée du recueil Braises ardentes, de E.H.Bauman

18.3.14

Changez votre vie - changez le monde !




Note sur la naissance de ce document, réalisé dans le cadre d'un atelier universitaire dans lequel l'enseignant demandait de produire un manifeste, après avoir étudié les déclarations forcenées du mouvement dada. Deux chrétiennes se sont unies pour écrire le dossier ci-dessus. Qu'il puisse en inspirer d'autres--c'est tout ce qu'elles demandent !


17.3.14

L'Amour fraternel

La plus ancienne joie dont je me souviens fut de voir ce beau petit frère endormi dans son berceau. Dès qu'il put marcher, je devins son protecteur ; dès qu'il put parler, il me consola. Que de jours sombres changés en jours d'allégresse parce que cet enfant m'a aimé ! Que d'heures pénibles, pleines de mauvais conseils et promises au mal, ont été abrégées par sa présence, et terminées innocemment dans les douces fêtes du cœur !

Nous allions ensemble à l'école, nous revenions ensemble au logis ; le matin, je portais le panier, parce que nos provisions le rendaient plus lourd ; c'était lui qui le portait le soir. Toujours nous faisions cause commune. Je ne le laissais point insulter ; et lui, quand j'avais quelque affaire, sans s'informer du sujet de la querelle, sans considérer ni la taille ni le nombre de mes ennemis, il m'apportait résolument le concours de ses petits poings, et je devenais tout à la fois accommodant et redoutable, tant je tremblais qu'il n'attrapât des coups dans la bagarre.

Certes, je n'ai pas subi une punition qui ne l'ait indigné comme une grande injustice. Si j'étais au pain sec, il savait bien me garder la moitié de ses noix et la moitié de sa moitié de pomme. Une fois, il vint en pleurant ; et pourtant il apportait un morceau de sucre, un grappillon de raisin et quelque reste de rôti. Festin de roi ! Je m'informai de ce qui le faisait pleurer : « Ah ! me dit-il, la soupe était si bonne, mon frère ! » Telle était notre mutuelle affection, que les préférences dont son caractère et sa gentillesse étaient l'objet ne le rendaient pas orgueilleux, ni moi jaloux.

Souvent, j'aurais fait l'école buissonnière ; mais il m'aurait suivi et j'aimais mieux, ô merveille ! quel que fût le beau temps, remplir mon devoir avec lui que de lui faire partager la responsabilité de mon crime. Nous traversions des jardins pleins de choses tentantes, et je regardais tout d'un oeil stoïque. Ce n'était pas pour éviter de lui donner mauvais exemple : c'est qu'il aurait pu, à son âge, fuir aussi lestement que moi.

Nous avons grandi, nous avons vieilli, nous tenant par la main et par le coeur. Nous sommes encore ces deux frères qui se rendaient à l'école ensemble, portant leurs provisions dans le même panier, ayant les mêmes adversaires, les mêmes soucis, la même fortune et les mêmes plaisirs ; l'un ne peut souffrir, que l'autre ne pleure ; l'un ne peut se réjouir, que l'autre ne soit heureux.
-- Louis VEUILLOT, Les Libres penseurs.




« Un frère est un ami donné par la nature, un ami que nul ne suplée, qu'une fois perdu nul ne remplace. L'union fraternelle est la force et la santé des familles. » – Plutarque

« Pour ce qui est de l'amour fraternel, vous n'avez pas besoin qu'on vous en écrive; car vous avez vous-mêmes appris de Dieu à vous aimer les uns les autres. » (1 Thessaloniciens 4:9)

14.3.14

Persévérance et volonté

Je faisais de mon mieux

Charles Péguy, écrivain français, né à Orléans, mort au début de la première guerre mondiale, en 1914, rappelle ses souvenirs d'enfant travailleur.

J'avais, dès ce temps-là, bonne envie de dormir, mais je disais tous les soirs à maman de me réveiller de bonne heure le lendemain, à six heures juste, parce que j'avais à travailler. Maman n'y manquait pas ; elle-même se levait tous les matins à quatre heures, hiver comme été, pour travailler à rempailler les chaises. Elle me réveillait donc tous les jours sur les six heures, bien que cela lui fît de la peine. [...]

Je me mettais à l'ouvrage et je travaillais assidûment, sérieusement, précieusement, et aussi bien dans mon genre que maman dans le sien ; je faisais mes devoirs et j'apprenais mes leçons. [...] Je tendais toute ma volonté au travail jusqu'à ce que le devoir fût écrit sans une faute, et jusqu'à ce que la leçon fût sue par coeur sans une faute, sans une hésitation...; maman m'y encourageait, m'y aidait, m'y conduisait ; j'aimerai toute ma vie la mémoire du cher travail que je faisais dans la bonne maison chaudement travailleuse, du bon travail que je recommençais régulièrement tous les matins. [...] A sept heures et demie sonnant, je me débarbouillais, je cirais mes sabots, je me lavais les mains, je m'habillais tous les matins à la même heure et avec la même vitesse. [...]

Je repassais mes leçons quand j'en avais pour la classe du soir, ce qui n'était pas long, puisque je les avais bien apprises le matin. Alors je me remettais à mes anciens métiers, aux métiers de paille et de chaise, que je savais tous. [...] Comme écolier, je faisais de mon mieux tout ce que font les écoliers, et comme ouvrier à la maison, je faisais de mon mieux tout ce que je faisais à la maison quand je n'étais pas encore écolier. J'étais un enfant qui suffisait à deux tâches. 
Charles PEGUY, Pierre


"La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont plus capables d'un grand effort que d'une longue persévérance." – La Bruyère

"La goutte d'eau creuse le roc, mais ce n'est ni les premiers jours, ni la première année." – Fontenelle