Frêle barque assoupie à
quelques pas d'un gouffre !
Prends garde, enfant !
cœur tendre où rien encor ne souffre !
Ô pauvre fille d'Ève ! ô
pauvre jeune esprit !
Voltaire, le serpent, le
doute, l'ironie,
Voltaire est dans un coin
de ta chambre bénie !
Avec son œil de flamme il
t'espionne, et rit.
Oh ! tremble ! ce sophiste
a sondé bien des fanges !
Oh ! tremble ! ce faux
sage a perdu bien des anges !
Ce démon, noir milan,
fond sur les cœurs pieux,
Et les brise, et souvent,
sous ses griffes cruelles,
Plume à plume j'ai vu
tomber ces blanches ailles
Qui font qu'une âme vole
et s'enfuit dans les cieux !
Il compte de ton sein les
battements sans nombre.
Le moindre mouvement de
ton esprit dans l'ombre,
S'il penche un peu vers
lui, fait resplendir son œil.
Et, comme un loup rôdant,
comme un tigre qui guette,
Par moments, de Satan,
visible au seul poète,
La tête monstrueuse
apparaît à ton seuil !
VIII
Hélas ! si ta main chaste
ouvrait ce livre infâme,
Tu sentirais soudain Dieu
mourir dans ton âme.
Ce soir tu pencherais ton
front triste et boudeur
Pour voir passer au loin
dans quelque verte allée
Les chars étincelants à
la roue étoilée,
Et demain tu rirais de la
sainte pudeur !
Ton lit, troublé la nuit
de visions étranges,
Ferait fuir le sommeil, le
plus craintif des anges !
Tu ne dormirais plus, tu
ne chanterais plus,
Et ton esprit, tombé dans
l'océan des rêves,
Irait, déraciné comme
l'herbe des grèves,
Du plaisir à l'opprobre
et du flux au reflux !
Extrait
de « Regard jeté dans une mansarde »
Les
Rayons et les ombres, IV
de
Victor Hugo